Adrien Veczan est un photographe connu pour ses productions à grande échelle et son utilisation experte d’éclairages complexes. Il a débuté sa carrière par un stage au Sydney Morning Herald en Australie, après quoi il a rejoint le Toronto Star, puis la Presse Canadienne. Adrien a travaillé pour Reuters, le Globe and Mail, USA Today. Ses photos ont été publiées dans le Guardian, le Washington Post et le New York Times. Son travail lui a donné accès à d’innombrables icônes, comme Robert De Niro, LeBron James et la reine Elizabeth II.
Artiste curieux et prolifique, il mène un travail impressionnant de réinterprétation d’œuvre majeurs issues de la peinture ou de la pop culture par le truchement de la photographie. Récemment, il a décidé d‘investir la forme narrative par le biais du roman-photo.
Quelles sont les qualités qui vous plaisent dans la discipline du roman-photo ?
Pour moi, le roman-photo est un médium largement inexploité, et donc rempli d’un immense potentiel. Il se situe à la croisée de plusieurs formes artistiques. Si on regarde les différents médias sous l’angle du contrôle du rythme, on peut les classer en deux grandes catégories : ceux qui imposent un rythme à l’auditoire et ceux qui lui laissent le contrôle.
Ce diagramme montre qu’une lecture horizontale reste limitée. Comparer simplement la bande dessinée à la littérature, par exemple, c’est oublier le poids narratif des images. De même, réduire le roman-photo à une simple variante de la bande dessinée, c’est ignorer qu’il partage aussi des qualités essentielles avec le cinéma. Cela le relègue au statut d’art mineur, alors qu’en réalité, il combine la liberté rythmique des médias non dictés avec les atouts narratifs visuels du cinéma, comme le réalisme et l’utilisation de la lumière.
Là où la lumière est souvent négligée dans la BD — perdue entre l’encrage et la couleur — elle pourrait devenir, dans le roman-photo, un outil narratif puissant. Le roman-photo a le potentiel de dépasser les limites de la bande dessinée, tout comme le cinéma a dépassé celles des dessins animés. Cependant, cela ne sera possible que lorsque la photographie ne sera plus utilisée par économie de moyens. Le jour où de véritables photographes aborderont le roman-photo avec la rigueur et les moyens d’un tournage de film, nous assisterons à l’émergence d’un nouveau genre.
Quelles sont vos influences artistiques dans votre pratique du roman-photo ?
Je n’ai été initié à l’univers du roman-photo qu’après avoir créé mon premier, Abstraction. Mon influence, de fait, vient de nombreux autres médiums, mais aucunement du roman-photo lui-même.
En termes de composition, je me suis d’abord tourné vers la bande dessinée classique, en analysant les codes visuels des BD avec lesquelles j’ai grandi. Pour la narration, même si je n’ai pas suivi de références précises, je suis resté dans un genre proche du whodunnit1, avec des éléments qui rappellent des œuvres comme Sherlock Holmes ou Tintin.
Sur le plan visuel, mes influences se partagent entre l’art moderne du XXe siècle et le monde de la publicité. D’un côté, l’âge d’or de la publicité américaine des années 1960 a marqué mon usage de l’image et du graphisme. De l’autre, j’ai été frappé par le contraste saisissant entre les expressionnistes abstraits, comme Rothko et Pollock, et les artistes Pop Art, comme Lichtenstein et Warhol, qui ont su transformer les codes publicitaires en art visuel percutant.
Quels sont les projets que vous souhaiteriez réaliser en roman-photo ?
En ce moment, je travaille sur une fiction historique intitulée Nova Scotia, qui se déroule entre 1910 et 1970. L’histoire suit un docteur qui découvre que ses patients plongés dans le coma se retrouvent tous dans le même lieu mystérieux, et il en devient, malgré lui, l’architecte. Je développe ce récit sous forme de roman, uniquement avec des mots, sans images pour le moment. Ceci dit, je garde à l’esprit la manière dont l’histoire pourrait se traduire visuellement, que ce soit en film ou en roman graphique.
Lorsque viendra le temps d’illustrer Nova Scotia, il est certain que j’utiliserai la photographie. Toutefois, je la déguiserai peut-être suffisamment pour qu’elle se confonde avec une bande dessinée ou un roman graphique, plutôt que de porter l’étiquette de roman-photo, qui me semble être un boulet au pied. C‘est quelque chose que j’aimerais vraiment voir changer.
Découvrir l’univers d’Adrien Veczan.
Propos recueillis par Sophie Bouchet.
- Le whodunit ou whodunnit (contraction de « Who [has] done it? », littéralement : « qui l’a fait ? ») est un genre littéraire, devenu également un genre cinématographique. Selon le Dictionnaire des littératures policières, ce genre « est devenu synonyme du roman à énigme classique du début du XXe siècle, appelé aussi roman problème ou roman jeu ».
Le roman de détection est une forme complexe du roman policier dans laquelle la structure de l’énigme et sa résolution sont les facteurs prédominants. Au cours du récit, des indices sont fournis au lecteur, qui est invité à déduire l’identité du criminel avant que la solution ne soit révélée dans les dernières pages. L’enquête est fréquemment menée par un détective amateur plus ou moins excentrique, par un détective semi-professionnel, voire par un inspecteur de la police officielle.