L’élu de mon cœur est un roman-photo qui s’inscrit dans la lignée des détournements politiques. Publié en 1994, il utilise le contexte politique pré-présidentielle pour développer une intrigue originale et savoureuse.

Afin d’accéder à la présidence de la France, Bernard Tapie ourdit un plan (plus que bien ficelé) impliquant la corruption de tous ses concurrents potentiels. Armé d’une escouade de jeunes femmes prêtes à tout pour faire plaisir à Bernard, le facétieux phocéen fait chanter hommes et femmes politiques de droite et de gauche dans le but d’atteindre la plus haute marche du pouvoir.

Les richesses de cet ouvrage original sont multiples. En premier lieu il faut lui reconnaître un humour généreux et inventif. Les auteurs ne sont pas avares en ingéniosité et utilisent tous les outils dont ils disposent pour faire rire : running gag, emphase, absurde… L’humour se retrouve aussi bien dans le ton du narrateur employant un langage ampoulé très parodique que dans l’incongruité des dialogues et des situations.

Ce jeu littéraire trouve peut-être son apothéose lors du combat qui oppose Bernard Tapie à Philippe De Villiers où les dialogues savoureusement caricaturaux mettent en lumière les différences de classe.

Dans l’ouvrage, on retrouve une très grande maîtrise du rythme où l’humour est présent à chaque page. Albert Algoud et Karl Zéro manient à merveille les ruptures de ton et l’on s s’amuse souvent de la cocasserie de certaines concaténations. Ainsi beaucoup de cases, drôles de façon indépendante, prêtent à rire à nouveau à la lecture de leurs voisines.

Une esthétique soignée

Les auteurs ont fait le choix d’une mise en page sobre, favorisant l’ergonomie d’une lecture qui se fait prestement et sans heurts.

Il est nécessaire de saluer la finesse et l’inventivité de l’iconographie. Les collages sont si discrets que l’on s’interroge bien souvent sur les astuces déployées pour obtenir un tel résultat. On imagine alors sans peine les heures de recherches et de détourage pour arriver à un ouvrage si juste que l’on en voit que rarement les ficelles.

Il faut aussi souligner la finesse des choix lors de l’intégration des visages des protagonistes/interprètes. Dont les expressions collent parfaitement avec les intentions de jeu, se baladant entre le parfaitement juste et le parfaitement exagéré, s’accordant totalement avec le récit mais aussi avec les postures outrancières des romans-photos détournés.

De son temps et intemporel

L’intemporalité de l’ouvrage réside en premier lieu dans les choix esthétiques opérés par nos deux coauteurs. L’œuvre se balade entre deux époques, les années 60, 70 des romans-photos sources et les années 90 où se déroule l’action. Ce sentiment est accentué par l’emploi du noir et blanc qui achève totalement la perte de repères.

Un des tours de maître de cette œuvre est sans doute sa capacité à partager et décrypter le paysage politique du milieu des années 90, tout en montrant les travers intemporels des gouvernants. Albert Algoud et Karl Zéro arrivent à intégrer avec brio les figures politiques majeures de l’époque1. Et, comme lorsque l’on regarde certains épisodes des Guignols de l’info ou à la lecture d’archives de journaux satiriques ; on retrouve avec un plaisir nostalgique quelques figures oubliées, les intrigues d’alors…

On s’agace également du destin bien trop favorable de certaines tristes figures et du fait que leurs idées nauséeuses soient malheureusement toujours présentes.

Cet ouvrage, rédigé huit ans avant la première incursion du Front National aux seconds tours des élections présidentielles, ne prends pour autant pas à la légère ce courant politique. Montré comme un regroupement de mafieux, les auteurs se permettent quelques tacles jouissifs. On pense notamment à cette illustration de couverture montrant à la fois ce que beaucoup d’entre nous rêvent (ou ont rêvé) de faire, mais qui est aussi une référence à la première intervention politique télévisuelle majeure de Bernard Tapie lors d’un débat face à Jean-Marie Le Pen le 8 décembre 1989. À cette époque, les hommes politiques (et certains journalistes) boycottaient les interventions des membres du Front National. Lors de ce débat, seul Bernard Tapie accepta de croiser le fer avec le borgne breton. Cette émission, qui a marqué les mémoires, s’est soldée, comme sur la couverture du livre, par une victoire de Bernard Tapie.

En quelques mots

À l’époque de la publication de L’élu de mon cœur, Algoud et Zéro officient dans l’émission Zérorama. Cette pastille de trois minutes intégrées à l’émission Nulle part ailleurs aborde l’actualité politique (et les élections à venir) par le biais de la parodie et du pastiche. Ces deux satiristes maîtrisent donc parfaitement deux choses qui concoururent à la qualité de l’ouvrage : la connaissance du paysage politique et l’exercice de la caricature.

L’élu de mon cœur est une œuvre sans pareil d’une qualité rare. L’humour prodigieux, alliant forme soignée et fond désopilant, fait de ce livre un très grand plaisir de lecture. On est ravi de constater une très grande habileté dans tous les aspects de sa production. Et l’on se réjouit qu’Algoud et Zéro utilisent le roman-photo non pour s’en moquer (et sans mépris) mais pour mettre les qualités indéniables de cette discipline au service d’une folle fable désopilante.

Cette œuvre est un bijou serti du plus bel écrin…

Propos rédigés par Sophie Bouchet.

Informations

Auteurs : Albert Algoud, Karl Zéro
ISBN : 2-258-03988-6
Pages : 48
Éditions : Hors CollectionParution : 1994
Didier Thimonier Photos Droits réservés.

Quatrième de couverture : Ami lecteur, voici l’histoire véridique du plus formidable complot politique que la Vème République ait connu !
Un à un, tous les candidats à la Présidence sont tombés dans le piège diabolique que leur a tendu Bernard Tapie. Bernard parviendra-t-il à ses fins ? Découvrira-t-il le fabuleux secret du vase de Jean-Pierre Soisson ? François Léotard retrouvera-t-il la raison ? Qui tire les ficelles de cet abominable imbroglio politico-sexuel ?
Tu le sauras, ami lecteur, si tu achètes tout de suite ce roman-photo palpitant !

 

1Par ordre d’apparition : Jacques Chirac, Simone Veil, Jacques Delors, Raymond Barre, Édouard Balladur, Charles Pasqua, Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Danielle Mitterrand, François Mitterrand, Michel Rocard, Édith Cresson, Philippe De Villiers, François Léotard, Gérard longuet, Georges Marchais, André Lajoinie, Bernard Pons, Martine Aubry, Jean-Marie Le Pen, Jacques Mellick

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