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ToggleExercice toujours ardu que de situer la naissance d’un média, mais on peut envisager les origines du roman-photo comme consubstantielles à l’apparition de la photographie et à l’essor des techniques de reproduction de l’image.
La première héliographie de Nicéphore Nièpce en 1827, marque les débuts de la photographie. Très rapidement, de nombreux créateurs explorent et investissent les qualités narratives de cette technique débutante.
Bien que conçues avant la photographie, les techniques stéréoscopiques (création d’un effet de relief par la juxtaposition de deux images) prennent leur essor dans les années 1850. À la suite de l’exposition universelle de Londres de 1851, les images stéréoscopiques vont connaitre un engouement populaire important. De nombreuses maisons éditent des séries de clichés présentant des voyages, des villes, des reconstitutions de scènes de vie…
En 1860, Henri Tournier et Charles-Paul Furne adaptent en stéréoscopie le roman à succès Les Aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers. Les deux auteurs ont pour volonté d’utiliser l’image photographique dans le but de raconter une histoire. La photo n’a pas pour unique attribut d’illustrer un propos mais bien de porter le récit tout autant que le texte, l’un et l’autre sont liés de manière solidaire.
En outre, les auteurs planifient leurs prises de vue, utilisent des acteurs et des actrices, confectionnent des décors, des costumes… préfigurant ainsi les méthodes de confection du roman-photo contemporain. Dans sa structure et dans son économie, cette histoire stéréoscopique peut être envisagée comme une œuvre princeps.
1878 voit l’apparition de la chronophotographie grâce aux travaux du scientifique britannique Eadweard Muybridge. Cette technique consiste à prendre de manière rapprochée une série de clichés, dans le but de décomposer chronologiquement un mouvement. La chronophotographie permet de voir émerger la concaténation d’images photographiques. Elle fait la narration d’une action (souvent courte), dont le sens complet n’est perçu que grâce au procédé de juxtaposition. Ce sont là les prémices d’une pensée séquentielle de la photographie où une image tire pleinement son sens de par son rapprochement avec d’autres.
Dans ces ouvrages, la photographie représente un argument commercial, ainsi peut-on lire sur les jaquettes : “Roman inédit illustré par la photographie d’après nature”. Cependant, la plupart du temps, la production ne met pas en lien les auteurs et les photographes de sorte que chacun travaille isolément. Il est plus question d’une méthode éditoriale que d’une rencontre entre deux artistes ou deux disciplines.
En 1886, le photographe Nadar, accompagné de son fils (Paul Tournachon, dit Paul Nadar), mène un entretien avec Michel-Eugène Chevreul (chimiste connu notamment pour son travail sur la perception de la couleur). Cet entretien présenté dans Le journal illustré, revêt la forme d’une suite de photographies accompagnées de la retranscription du dialogue tenu entre l’artiste et le scientifique. Il représente pour beaucoup, le premier roman-photo (journalistique) en tant que tel.
Au début du XXe siècle, en même temps que se développe le cinéma, des maisons d’édition telles que Rouff, Plon ou Galimard proposent des retranscriptions de films populaires. Le public, désireux de découvrir ce nouveau média auquel il n’a pas toujours un accès facile, déplace son appétit vers ce que l’on appelle le roman-cinéma. Les ouvrages sont composés de descriptions, de dialogues (issus des cartons lorsqu’il s’agit de films muets) et de quelques “captures d’écran”. L’image y est encore rare et illustrative, et le texte est prépondérant. Ce rapport sera appelé à changer lorsque les revues s’empareront de ce travail d’adaptation.
Au fil des parutions, les revues feront de plus en plus de place aux images issues des films pour proposer un rapport voisinant celui que nous connaissons actuellement dans le roman-photo. Les descriptions sont supprimées pour favoriser une lecture fluide et rapide, plus proche de l’expérience cinématographique. Ce changement permet aussi de s’adresser à un public plus large et, parfois, moins lettré.
Le roman-photo tel que nous le connaissons voit son apparition en 1947 dans l’Italie de l’après-guerre. Mélange entre le ciné-roman et roman-cinéma, la formule sera développée dans le magazine Il Mio Sogno (que l‘on pourrait traduire par “Mon rêve”). Ainsi attribut-on la paternité du premier roman-photo moderne à Stefano Reda qui réalisa Nel Fondo del Cuore (“Du fond du cœur“). Il met en scène Gina LolloBrigida (sous le pseudonyme de Giana Loris). Si, comme nous l’avons vu, la solidarité photo-textuelle n’est pas totalement originale ; la volonté de répliquer et de développer cette structure l’est.
La confrontation entre photographie et texte est dans l’air du temps italien ; seulement 17 jours après Il Mio Sogno, le trio Franco Cancellieri, Damiano Damiani et Luciano Pedrocchi publient le magazine Bolero Film (sous la direction de Luciano Pedrocchi). Cette parution verra sur sa couverture l’apparition du néologisme « fotoromanzo » (roman-photo).
Le genre rencontre vite le succès et dès 1949, le réalisateur Michelangelo Antonioni lui dédie un court-métrage documentaire : L’amorosa menzogna (“Mensonge amoureux”).
Le roman-photo prospère rapidement et s’exporte tout aussi promptement dans la sphère méditerranéenne et latino-américaine. La discipline s’installe dans la presse dite sentimentale destinée en premier lieu à une audience féminine. Le roman-photo est introduit en France sous l’impulsion du Patron de presse italien Cino Del Duca. À la fin des années 1940 et au début des années 1950, il incorpore le roman-photo à toutes ses parutions, ainsi le premier roman-photo français (dit) sentimental est paru dans le magazine Festival en 1949. En 1950, le très renommé Nous deux reçoit son premier roman-photo intitulé À l’aube de l’amour. Le succès ne se dément pas jusqu’à la fin des années 50. Ainsi en France, en 1959, les six premiers titres de presse sentimentale parviennent à éditer hebdomadairement jusqu’à 6 millions d’exemplaires. Un Français sur trois lit des romans photo dans les années 1960. Ce sommet sera suivi d’une lente décroissance, de sorte qu’aujourd’hui Nous deux est le seul magazine à diffuser régulièrement des romans-photos (souvent traduits de créations italiennes).
À partir des années 1960, en parallèle de cette incarnation sentimentale, le roman-photo explore d’autres genres tels que l’humour et la parodie notamment dans les pages des publications d’Hara Kiri, de Charlie Hebdo ou de Fluide Glacial. Des figures d’envergures telles que Coluche, Jean Teulé, Léandri, Gébé ou le Professeur Choron, en sont les créateurs, les photographes ou les acteurs. Bien que parodiant parfois les romans sentimentaux, les auteurs n’hésitent pas à puiser également dans les codes de la bande dessinée. Il n’est pas rare que le dessin ou la peinture voisinent la photographie.
Avec le temps, les créateurs et créatrices de roman-photo élargissent la palette du genre pour proposer des incursions dans le polar, l’aventure, la pornographie, l’horreur, la science-fiction, l’ouvrage d’auteur, le reportage, l’autobiographie, le documentaire, la médiation ou la pédagogie... Petit à petit le roman-photo affirme son indépendance du genre sentimental auquel il n’est plus exclusivement lié et les auteurs et autrices utilisent les qualités du média pour créer des œuvres originales.
Le détournement est théorisé par Guy Debord et Gil Joseph Wolman en 1956 dans l’article Mode d’emploi du détournement dans la revue belge Les lèvres nues. Le détournement a pour but de créer un nouveau discours en utilisant des matériaux (dessin, publicité, photographie…) déjà existants. Dans les années 1960, l’International Situationniste (mouvement contestataire philosophique, esthétique et politique dont le but est de critiquer la société de consommation, d’en finir avec la lutte des classes et de repenser des notions telles que la vie quotidienne) s’empare du roman-photo. Le genre représente un outil important pour ses membres par sa capacité de confrontation entre l’image et le texte et dans ses possibilités de perversion de la culture populaire.
L’économie du roman-photo devient autre, on ne crée pas de roman-photo, on retravaille l’existant, on propose de nouveaux signifiants.
Ce mouvement d’appropriation de l’image se poursuit au-delà de mai 1968 et de la fin du mouvement situationniste. Le détournement devient par la suite l’outil de créateurs et créatrices (amateurs ou professionnels) souhaitant s’essayer à la discipline pour ses facultés de référent, de corrupteur ou par facilité. Le roman-photo a bien cela de remarquable qu’il a dans sa nature cette habitude de la réécriture, de l’adaptation et du partage.
Ce processus de détournement de l’image confrontée au texte continue de perdurer sous la bannière ce que l’on appelle les “mèmes”. Le terme apparait en 1976 dans Le Gène égoïste du scientifique britannique Richard Dawkins. Il est créé d’après le terme mimesis (« imitation » en grec ancien) par analogie avec le mot gène (« genesis ») et le mot français « même ».
L’arrivée de l’informatique et plus particulièrement d’Internet offre une nouvelle interprétation non-scientifique du mème qui s’apparente en premier lieu à un élément culturel qui se transmet d’un individu à l’autre par imitation. Le mème peut prendre la forme d’une création médiatique (photographie, dessin, Gif…) détournée de son usage premier pour proposer un discours inédit. Le rapport entre le texte et l’image (souvent photographique) est très présent et fait écho aux détournements photo-romanesques qu’ils furent politiques, humoristiques, pédagogiques… Empruntant parfois très clairement les codes du roman-photo.
Aujourd’hui, la production de roman-photo a déserté les revues et se fait majoritairement dans des albums portés par des maisons d’édition (qui éditent également de la bande-dessinée), dans des Fanzines ou sur Internet.
Le roman-photo en tant que genre souffre de beaucoup de lacunes structurelles (pas de représentation institutionnelle, pas de subvention dédiée, peu d’archive, pas d’enseignement, peu de recherche…), mais reste bien un pratique populaire, destinée à toutes et tous, qu’elle s’incarne dans des livres, des fanzines, des revues ou des mèmes. Ses vertus pédagogiques sont également mises à l’honneur par l’UNESCO en 2008. Les auteurs et autrices qui se réclament du genre l’investissent tout en explorant ses failles et ses limites, ses particularités mais aussi ses atouts et sa richesse pour proposer des œuvres prospectives, variées, généreuses et originales.
Propos rédigés par Sophie Bouchet pour le site le roman-photo.fr
Histoire de la Photographie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_photographie
phototypie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Phototypie
Stéréoscopie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Stéréoscopie
https://clempatrimoine.com/stereophotographie/
Petite histoire du Roman Photo
https://www.roman-historique.fr/actualites/les-differents-romans/petite-histoire-du-roman-photo/
Roman-photo
https://fr.wikipedia.org/wiki/Roman-photo
Le roman-photo sorti des clichés
https://www.beauxarts.com/expos/le-roman-photo-sorti-des-cliches/
Nadar
La première interview : Nadar et Chevreul
https://www.youtube.com/watch?v=Z6QNQrtOxpo
Henri Tournier-Charles-Paul Furne
Henry Tournier (1835-1885)
https://data.bnf.fr/fr/13599384/henry_tournier/
Charles-Paul Furne (1824-1875)
https://data.bnf.fr/14976500/charles-paul_furne/
https://picclick.fr/Vue-stereo-albumine-Furne-et-Tournier-Mésaventures-de-394408390186.html
Les Aventures de Jean-Paul Choppart
https://essentiels.bnf.fr/fr/image/ed449e87-3dcc-4d64-89ae-3e79a8b369da-aventures-jean-paul-choppart-1
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1091279
https://picclick.fr/Vue-stereo-albumine-Furne-et-Tournier-Mésaventures-de-394408387019.html
les éditeurs Charles Mendel et Nilsson/Per Lamm
https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1985_num_15_47_4715
Éditions photolittéraires – éditeurs spécialisés
http://phlit.org/press/?p=2684
Librairie Nilsson
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96180194/f1.item.texteImage
https://fr.wikipedia.org/wiki/Librairie_Nilsson
Pauline, ou les Amours d’une fille de ferme, roman inédit orné de nombreuses illustrations obtenues par la photographie d’après nature / George Beaume
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9618363k/f1.item
L’heure bleue : illustré par la photographie d’après nature / Pierre Guédy
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9618363k/f7.item.zoom#
Les débuts du roman-photo: Grand Hôtel, Il Mio Sogno, Bolero Film
http://www.arabeschi.it/4-les-dcbuts-du-roman-photo-grand-htel-il-mio-sogno-bolero-film-/
Marcel Gotlib, Bruno Léandri et le roman photo en BD
« Le film complet » : Histoire d’une revue
https://www.cinematheque.fr/article/612.html
Index of /histoire/public/Internationale-Situationniste
https://www.formes-vives.org/histoire/public/Internationale-Situationniste/
Le scandale de Strasbourg et les situationnistes
http://www.zones-subversives.com/2019/07/le-scandale-de-strasbourg-et-les-situationnistes.html